lundi 24 décembre 2007

LA MERCEDES S'ÉVAPORE EN PLEIN JOUR

Les voleurs ont fait preuve d'un culot infernal. Mais qui les a aidés ?

Les voleurs et les escrocs ne changent pas souvent de modus opérande dans les opérations qu'ils montent. Toute la différence se trouve dans le degré d'imagination, d'audace ou de brutalité dont ils sont capables quand ils veulent boucler leur coup. C'est ce qui explique que l'histoire proposée aujourd'hui peut donner à nos lecteurs la sensation de lire un récit déjà connu.

Mais elle est particulière, parce que significative de l'évolution de la criminalité dans notre pays. Les malfrats n'hésitent plus à travailler en plein jour, à visage découvert; pratiquement sans précaution et en intimidant au besoin leurs victimes. Tout cela sans souci des indices qu'ils pourraient laisser derrière eux.

Notre rocambolesque histoire intervient quelques semaines après l'enlèvement de deux voitures à Sogoniko, un quartier populeux de la rive droite du Niger. Les auteurs de ce braquage ont d'ailleurs été appréhendés par le commissariat de police du 7e Arrondissement en début de cette semaine, et l'enquête se poursuit pour mettre au grand jour les éventuelles ramifications de ce réseau de brigands.

Les faits qui nous intéressent aujourd'hui remontent au 6 décembre dernier. Ce jour là, Yacoub Ali, fils d'un ancien ministre mauritanien, arrivait dans notre pays à bord d'une voiture de marque Mercedes en compagnie d'un ami. Il prit ses quartiers dans une luxueuse maison du quartier Boulkassoumbougou où vivent de nombreux compatriotes à lui.

Quelques heures après son installation, il reçut un appel téléphonique. Son interlocuteur lui proposait de racheter sa voiture. L'offre n'étonna pas outre mesure le Mauritanien, car celui-ci est quelqu'un de bien connu dans le milieu du négoce des voitures d'occasion. Yacoub Ali demanda donc à son interlocuteur de lui fixer un rendez-vous à sa convenance pour la transaction.

L'acheteur potentiel se montra plutôt pressé de convenir les modalités de la vente, puisqu'il proposa à son correspondant de les rencontrer ce même jour aux environs de 13 heures lui et son frère cadet, lequel était un spécialiste des voitures d'occasion. Le lieu de rendez-vous était un bar dont l'adresse fut donnée au Mauritanien.

Deux petites "frappes" : Yacoub Ali embarqua avec lui Mahfoud Ould Mohamed Lamine et Dah Mohamed Ould Oulouby, tous deux de nationalité mauritanienne. Et le trio rallia le bar en question. A son arrivée, il trouva deux jeunes gens assis sur une moto de marque Jakarta. L'un d'eux s'approcha des Mauritaniens et leur demanda s'ils étaient ceux que son grand frère venait d'appeler. Dah Mohamed Ould Oulouby répondit par l'affirmative et descendit de la voiture, suivi de Yacoub Ali.


Mahfoud Ould Mohamed Lamine, qui se sentait fatigué, préféra rester sur le siège arrière pendant que ses compatriotes et leurs contacts discutaient, debout sous un arbre devant le bar.
Après 15 minutes de discussion, celui qui disait être le jeune frère du client entra dans le véhicule qu'il mit en marche.

Il essaya d'enclencher la marche arrière, mais se perdit dans la manipulation du levier de vitesses. Yacoub Ali intervint pour le guider. L'autre déplaça donc le véhicule en marche arrière jusqu'au niveau de son compagnon qui discutait toujours avec les Mauritaniens et l'invita à prendre place sur le siège de passager avant.

Le second jeune descendit nonchalamment de la moto (qu'il laissa garée près de Dah Mohamed et Yacoub Ali) et se glissa dans la voiture. Les deux jeunes - qui seront identifiés plus tard comme étant Alou Diallo et Abadi Dao, petites frappes bien connues des policiers - prirent la route de Koulikoro.

Les Mauritaniens avaient été quelque peu surpris par cette manière de procèder, mais dans un premier temps, ils refusèrent de s'inquiéter. Ils crurent que les jeunes voulaient tester le véhicule avant de faire une offre d'achat. Ils se disaient aussi que si les jeunes gens avaient voulu voler la voiture, ils auraient trouvé un moyen ou un autre pour ne pas embarquer avec eux Mahfoud qui s'était assoupi sur le siège arrière. Enfin, le propriétaire de la Mercédès se disait que les jeunes en jetant un coup d'œil à la jauge d'essence se rendrait compte que le réservoir serait bientôt à sec et qu'ils n'iraient pas très loin.

Tous ces arguments étaient des plus sensés. Mais aucun ne gênait les voleurs dans leur projet. Yacoub Ali et Dah Mahomed attendirent pendant de longues minutes avant d'admettre que leur véhicule leur avait été bel et bien dérobé. Ils composèrent le numéro de Mahfoud pour voir si ce dernier pouvait faire quelque chose. La sonnerie réveilla effectivement leur ami, mais à peine celui-ci avait-il sorti son appareil que l'un des faux clients le lui retira avec brutalité et répondit lui-même à Yacoub Ali.

Une poigne d'acier : "Répondre" serait d'ailleurs un mot inexact pour décrire la conduite du malfrat. Il fit savoir au malheureux propriétaire que ce drnier n'avait désormais plus de véhicule.

Puis il se mit à l'injurier grossièrement avant de raccrocher brusquement. Le tandem continua de rouler jusqu'à arriver à un endroit désert. Une fois le véhicule garé loin du regard des passants, l'un des jeunes gens saisit l'infortuné passager au collet et se mit à lui serrer la gorge. Mahfoud Ould Mohamed Lamine eut beau se débattre comme un beau diable, il ne put s'échapper de la poigne d'acier de son tortionnaire.

Il perdit connaissance après une brève lutte. Alou et Abadi le jetèrent alors hors du véhicule et disparurent dans la ville. Lorsque l'infortuné Mahfoud retrouva ses esprits, il héla un taxi qui le conduisit chez ses logeurs à qui il expliqua tout ce qui s'était passé après que les voleurs aient "subtilisé" la Mercédès.

Mahfoud et Yacoub Ali se rendirent au commissariat de police du 12e Arrondissement pour porter plainte contre Dah Mohamed. D'après divers recoupements qu'ils auraient fait et qu'il serait difficile de restituer, leur compagnon aurait été de mèche avec Alou Diallo. La communauté mauritanienne s'est mobilisée pour que l'affaire soit traitée à l'amiable. Sous la pression de ses compatriotes, Dah Mahomed Ould Oulouby a accepté de verser 3,8 millions Fcfa, représentant le prix de la voiture. Il a ensuite porté plainte contre Alou Diallo et Abadi Dao qui, comme nous vous l'indiquions, sont bien connus de la police. Les recherches se poursuivent actuellement pour retrouver la voiture et les deux malfrats.

Au commissariat de police du 12e Arrondissement, le commissaire Moussa Balla Diakité et ses hommes se mobilisent à fond dans cette affire, mais ils ne se cachent pas qu'elle sera difficile à résoudre, tant elle est truffée de points d'ombre. Qu'est ce qui a rendu les voleurs si sûrs d'eux au point d'opèrer en plein jour et dans un quartier très fréquenté ? Comment Alou Diallo et Abadi Dao ont-ils eu connaissance del'arrivée du Mauritanien et qui leur a mis la puce à l'oreille sur la Mercedes ?

Comment ont-ils eu le contact de Yacoub Ali alors que ce dernier lui-même jure sur le Saint Coran qu'il ne les a jamais rencontrés ni au Mali, ni dans son pays la Mauritanie ?
Les questions sont nombreuses et ceux qui pourraient répondre même partiellement à certaines d'entre elles sont réticents à s'exprimer. On ne peut pas vraiment parler d'omerta, mais les limiers du divisionnaire Diakité auraient certainement apprécié de disposer d'indices plus consistants.

Source:L'Essor

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